Introduction : Une consultation d’allure banale… en surface
Une adolescente de tout juste 18 ans, vous consulte initialement pour un malaise vagal dans le cadre d’un trouble anxieux chronique. Après avoir réalisé une anamnèse et un examen clinique rigoureux, vous décidez de conclure la consultation par la dernière étape du modèle de Calgary-Cambridge1 relatif à la communication médecin-patient, en lui demandant : « Avez-vous d’autres questions par rapport à votre santé ? » (approche de final-checking).
Cette jeune vous répond alors qu’elle est descendue récemment dans les catacombes de Paris et vous demande si elle encourt des risques spécifiques pour sa santé à le refaire. Pubmed ne vous est malheureusement que d’une utilité limitée dans ce contexte : les 49 articles référencés avec le mot-clef « catacomb » parlent le plus souvent de germes retrouvés dans d’anciennes tombes romaines (isoptericola hypogeus, kribella italica, amycolaptosis nigrescens…) plutôt que des jeunes explorant ces univers sous-terrains.
Discussion sur les explorations des circuits non-touristiques des catacombes : vers une approche globale
L’adolescence est caractérisée par des changements rapides tant sur les plan physiques, émotionnels, sociaux que cognitifs avec des expérimentations et prises de risque du début de la puberté jusqu’à l’âge adulte. Ces étapes développementales s’inscrivent dans une recherche d’autonomie, de questionnement de ses propres limites et de relations aux pairs. Près d’un quart des adolescents connaissent des défis relatifs à la santé mentale et aux prises de risque pouvant impacter leur développement biopsychosocial et les médecins généralistes restent les professionnels les plus consultés par ces derniers. Les acteurs de soins primaires ont donc un rôle important à jouer pour dépister ces prises de risque et proposer des interventions précoces afin de promouvoir un développement en bonne santé des jeunes.2
Il est donc important d’évaluer les conduites à risque à la lumière d’une analyse biopsychosociale complète, par exemple via le modèle HEADSSS, afin de comprendre dans quel contexte global s’inscrit cette démarche : Dans quelle disposition psychique est le jeune ? Quelles sont ses relations sociales actuelles ? Son lien avec sa famille ? Quel est son état de santé ? A-t-il déjà eu plusieurs comportements en lien avec l’impulsivité ?
Il est également essentiel d’essayer de comprendre les bénéfices que la jeune recherche dans sa pratique d’exploration des catacombes : tester ses limites, sa bravoure, son courage ? S’autonomiser de la cellule familiale ? Participer à un rite de passage ? Pouvoir partager une activité inédite avec ses pairs ? Fuir une réalité parfois trop difficile « à la surface » ? Pouvoir rencontrer d’autres jeunes sans surveillance familiale ?
Les risques à visiter les catacombes hors-circuit touristique
Les carrières de calcaire, exploitées de l’époque gallo-romaine à 1813, d’abord à ciel ouvert, ont permis la construction de la capitale française, avant que l’urbanisation ne finisse par recouvrir les galeries qui donneront les catacombes de Paris. L’accès aux carrières est interdit, en dehors du musée de l’ossuaire municipal qui réunit les restes de 6 millions de Parisiens.
Les risques à explorer les catacombes hors circuit touristique sont :
Vers une prévention des risques
Il est important de revisiter avec le jeune la balance bénéfice-risque de cette activité en pouvant l’informer de manière claire, loyale et appropriée. Si le jeune décide quand même de descendre dans les catacombes, il conviendra d’apprécier selon son âge, son degré de maturité, le contexte global et l’alliance thérapeutique le fait de pouvoir aussi informer ses parents.
Si un jeune souhaite descendre dans les catacombes, il est important de lui rappeler, après avoir évoqué les risques de poursuites compte tenu de l’interdiction en vigueur, de ne pas y aller seul, d’être casqué, de porter des gants, une tenue appropriée avec chaussures et vêtements chauds/waterproof, une lampe-frontale, d’avoir du matériel de premier secours (bandages, pansements, antalgiques, antiseptiques…), des outils avec batterie chargée et piles/batterie de secours à connecter, éventuellement des cordages pour porter secours à autrui, porter un siffler pour se signaler et de pouvoir suivre certains codes d’usage (dire « tête » lorsque la distance sol-plafond se réduit pour éviter que d’autres ne souffrent d’un traumatisme crânien). Il est également utile de préparer des denrées alimentaires et de prendre son traitement en cas de maladie chronique. Il est essentiel d’avertir un adulte de confiance de sa future descente afin de pouvoir lancer des recherches si le jeune n’est pas revenu avant un certain moment défini à l’avance.
Conclusion : les catacombes en médecine de l’adolescent et du jeune adulte
L’évaluation des prises de risque fait partie prenante de la rencontre des professionnels de santé avec les adolescents et les jeunes adultes. Cette dernière se doit d’être systématique dans un cadre thérapeutique bienveillant et non-jugeant. Si un comportement à risque est dépisté, il est important de pouvoir évaluer la balance bénéfice-risque avec le jeune dans une approche motivationnelle. Si ce dernier décide malgré tout de maintenir son action, une réduction des risques, à l’instar du concept de safer-use en médecine des addictions, permettra de limiter les possibles complications. Une conclusion de la consultation par un safety-netting reprenant les stratégies à adopter en anticipant les problèmes potentiels à venir permettra au jeune de vivre son expérience dans de meilleures conditions de sécurité et de favoriser un retour d’expérience lors de la prochaine consultation.
Bibliographie
1Burt J, Abel G, Elmore N, Campbell J, Roland M, Benson J, Silverman J. Assessing communication quality of consultations in primary care: initial reliability of the Global Consultation Rating Scale, based on the Calgary-Cambridge Guide to the Medical Interview. BMJ Open. 2014 Mar 6;4(3):e004339. doi: 10.1136/bmjopen-2013-004339. PMID: 24604483; PMCID: PMC3948635.
2 Sanci L, Webb M, Hocking J. Risk-taking behaviour in adolescents. Aust J Gen Pract. 2018 Dec;47(12):829-834. doi: 10.31128/AJGP-07-18-4626. PMID: 31212399.